dimanche 24 novembre 2013

Étranger à soi même

© Sylvie Blocher Adam et Eve

C'est par l'intermédiaire du film de Claire Denis l'intrus que j'ai pris connaissance du livre du même nom de Jean-Luc Nancy dont elle s'est inspirée. Je mentionnerais ce film dans une autre partie.

Il faut d'abord préciser que ce texte a été édité la première fois dans la revue Dédale pour un numéro sur "la venue de l'étranger".
L'intrus est un récit autobiographique. Quel est l'intrus ? Le nouveau cœur de Jean-Luc Nancy. Ce dernier a dû subir une transplantation cardiaque et c'est en tant que philosophe qu'il va traiter de la question. L'étymologie du mot intrus est" introduit de force », et c'est la première ligne du livre : "L'intrus s'introduit de force, par surprise ou par ruse, en tout cas sans droit ni sans avoir été admis. Il faut qu'il y ait de l'intrus dans l'étranger, sans quoi il perd son étrangeté". Jean-Luc Nancy le précise, accueillir l'étranger, c'est éprouver son intrusion. Le premier intrus, est son propre cœur qui défaille, qui ne remplit plus sa fonction, "par réjection, sinon par déjection". Il faut donc l'extruder. Ceci n'est plus de l'ordre de la révolte ou de la résignation Cette non reconnaissance de soi que l'on connaît déjà par l'extérieur comme un miroir, des photos anciennes ou le regard de l'autre, est là vécu en dedans. Cela devient une inédéquation de soi à soi. "On n'est, très vite qu'un flottement, une suspension d'étrangeté entre des états mal identifiées, entre des douleurs, entre des impuissances, entre des défaillances" (p. 39)
Avec les médicaments immuno-dépresseurs (pour éviter le rejet) la qualité de la vie est complètement "mise sur un autre registre".



Le film de Claire Denis : "Je voyais d'abord deux parties, un film en deux parties, comme les deux valves du coeur. Les deux hémisphères, le nord et le sud. Le passage de l'équateur n'est pas anodin, même aujourd'hui (voyages rapides etc.). Pierre Chevalier, qui après Beau travail, m'avait offert de retravailler pour Arte, a alors suggéré deux épisodes de deux fois une heure. Ensuite, en travaillant avec Jean-Pol Fargeau, je me suis rendu compte qu'il manquait une pause, le limbo, le moment où Trébor renaît avec le second coeur et là, j'ai pensé que ça pourrait être à Pusan en Corée du sud." Dans le scénario, les trois parties étaient clairement séparées, comme l'explique Claire Denis : "Longtemps, j'ai tenu sur cette idée-là et puis quand je suis arrivée à Pusan, le hasard a fait que le premier jour de tournage, la neige est tombée, il n'avait pas neigé à Pusan depuis 15 ans. Pusan venait justement après le Jura et la neige. C'était comme un lien naturel avec l'hémisphère nord." C'est ainsi qu'elle a décidé que les trois parties seraient imbriquées, et non pas distinctes. La cinéaste parle du Haut-Doubs, dans le Jura, une région qu'elle connaît depuis l'enfance et où elle a tourné la première partie de son film : "(...) j'ai eu une tante là-bas (...) elle travaillait dans une usine de montres. Les deux petits lacs, les hauts sapins, la forêt très dense qui empiète sur la Suisse. C'est un ancien territoire de contrebande. Les douaniers ne peuvent qu'attendre à leur poste. L'hiver très froid, l'été hors des routes... Quelqu'un qui se cache, qui vit en reclus, c'est bien là. Je pensais à cela, enfant, j'avais peur de croiser des solitaires, des chasseurs, des hommes seuls avec des fusils..." Certaines scènes (que la réalisatrice qualifie d'"appendice de la première partie") ont été tournées à Genève, une ville qui évoque "la banque, le guichet. Et la montre." Jean-Luc (Nancy) m'avait dit un jour que changer de coeur, c'était comme changer de montre, le bruit, le tic tac n'est pas le même." La sauvageonne est le vieux coeur, le coeur probable, celui qui ne manquera à personne, Katia Golubeva l'ange de la mort, mais aussi le passé russe de Trébor, etc. Chaque plan est issu de sa pensée, de son regard, ou de son pressentiment."

2 commentaires:

Nikole a dit…

La culture est pointue ici ; pas mal de références d'oeuvres et de gens qui m'étaient inconnus : merci pour la découverte.

Amaryllis a dit…

Je suis désolée pour le retard de la modération Nikole. Ce blog est un peu en stand by ! Merci en tout cas.