Les rhododendrons
La façon dont le temps s'en va, vraiment ça me dégoûte.
L'instant qu'on croit vivre on dirait l'avoir vécu déjà,
Et ceux qu'on a cru vivre, qui nous les désagrégea
Si bien qu'il n'en reste qu'une ombre ? On vit coûte que coûte,
Mais où, mais quand, comment, puisque tout ce que l'on ajoute
Est aussitôt soustrait ? À quoi bon poursuivre ? Qu'ai-je à
M'agiter de la sorte ? À me jeter comme un goujat
Sur chaque minute qui passe et me laisse en déroute
Entre une espérance déçue et le prochain regret ?
Je suis sûr cependant qu'il existe un endroit secret,
Jusque dans cette ville où tout sans arrêt change et bouge,
Où le temps s'est mangé lui-même. - Alors nous reviendrons
Pour le trouver peut-être à la Butte du Chaperon Rouge,
En mai sous les massifs éclatants de rhododendrons.
Jacques Réda, La course : nouvelles poésie itinérantes et familières (1993-1998), Gallimard, 1999.
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