"On ne lit que ce que l’on veut entendre"
Quatre motifs me sont apparus dans ce roman : la mort, les miroirs, la mémoire, la musique. Quatre, le chiffre était bon car j'étais en présence d'un quatuor ressuscité.
La mort.
Celle du personnage central, une femme morte dans un accident d'avion, dont je ne connais pas l'identité. Tout au long du récit, la narratrice la nomme elle. Cette femme est le maillon principal du roman mais c'est par l'intermédiaire de quatre hommes qui ont croisé son chemin que j'apprends à la deviner.
Les miroirs ?
Deux des hommes vont l'apercevoir par le truchement d'un miroir. François, son mari, découvre pour la première fois son reflet dans un miroir vénitien de son magasin. "Tous les miroirs renfermaient quelque chose d'elle. Même ceux qu'elle n'avait pas connus". Gilles, le metteur en scène la découvre aussi dans un miroir lors d'une réunion mondaine. "[…] le refuge d'un miroir qui les renvoyait chacun à sa solitude".
La mémoire…
Hugo, son ami est archiviste. Pourtant, c'est Gilles qui tente de réunir François, Hugo et Vincent, son frère, pour tenter de percer son mystère. Mais la mémoire de quelqu'un se transmet-elle ? Un seul repère, son métier d'actrice de théâtre, un travail qui justement ne laisse aucune trace, et son désir de voyager, de fuir.
La musique !
Cette jeune femme et les trois hommes formaient un quatuor tous les dimanche après-midi. Gilles, en sa mémoire, veut le faire revivre dans sa maison sur la baie de Somme. Pour jouer quoi ? Un quatuor de Schubert, la jeune fille et la mort.
La structure du récit aussi est musicale : chaque chapitre est un extrait des poèmes de Muller mis en musique par Schubert dans le Voyage d'hiver et donne ainsi la tonalité au chapitre.
Tout au long de ce livre, j'ai fait la connaissance de cette femme à travers le regard et la parole des autres personnages. J'ai aimé cette découverte progressive mais la construction des phrases est telle que parfois on ne sait plus qui s'exprime. Cela entrave un peu la lecture.
" Pourquoi parlait-il si mal, par moments, aux moments les plus importants ? Pourquoi se creusait-il un vide, un abîme de confusion silencieuse d'où il fallait extraire la réponse à la question, la parole qui coïnciderait avec la pensée, et comment le pourrait-il alors que sa pensée ressemblait à une aube d'hiver où rien ne permettait de deviner de quel côté se lèverait le brouillard, à un jardin à l'abandon depuis des années, où rien ne permettait de savoir qu'une allée avait été tracée, alors comment, ne parvenant pas à ressaisir l'idée, pourrait-il la garder, lui faire remonter la pente abrupte de se taire à parler, sans la perdre en cours, sans qu'elle lui échappe - à jamais - se brise contre les arbres dressés, éclate et retombe en cendres, se
désintègre et disparaisse, sans qu'aucune trace ne demeure - et comment, en admettant l'obstacle surmonté, faire bouger les lèvres en accord avec ce qu'elles doivent dire, comment trouver la voix et le souffle pour emplir l'espace des paroles attendues? "
Cécile Wajsbrot, Atlantique, Ed Zulma, 1993
5 commentaires:
oufti ! quelle phrase ! j'ai l'impression de me retrouver à l'école, obligée de lire Chateaubriand :) en baillant quelque peu, à cet âge ....
tu n'as pas déjà mis cette note quelque part ? (c'est pas un reproche rire ce serait juste pour te prouver que je te lis :lol: )
Oui, pommereinette, c'était sur Murmure des mots (il y a longtemps ;)))
Je ne baille pas, je respire en lisant Cécile Wajsbrot. Si on essaie de la lire en dormant ou en apnée, je pense qu'on ne peut qu'avoir du mal, en effet ;-).
Avez-vous lu Michèle Desbordes, "pommereinette" ? Car si vous éprouvez quelques difficultés avec les phrases longues, vous serez servie, et pourtant, quel bonheur incroyable j'ai à les lire!
- "Mieux vaut être bouche bée en lisant que de plonger dans un somme lunatique..."
Vieux proberbe ardennais.
je n'ai pas lu Michèle Desbordes, "anonyme". c'est sans doute une erreur mais je ne lis plus beaucoup de romans maintenant. la poésie et les nouvelles m'attirent davantage ... hé oui, toujours le "court" mais, parfois, il va droit à l'essentiel ! quand je parle de "bailler" en lisant Chateaubriand, je me reporte à mes 15/16 ans, d'autant que cela s'accompagnait souvent d'un devoir d'analyse logique. il faudrait que je le relise, pour apprécier vraiment la beauté de la langue. mais il y a tant de choses à re-lire, alors que tant de choses à lire se poussent en avant ...
JEA, un somme lunatique est parfois profitable s'il charge le réveil d'une provision d'invention ! mais où est votre blog ?
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