« Maitre Archimède était une grande femme à la peau sombre, aux yeux vifs et au courage indomptable. Je n’oublierai jamais notre première rencontre. Je sentais que j’étais en présence d’une très grande dame. Pas un instant je ne doutais qu’elle allait nous sortir de notre mauvaise posture. Mais j’étais tellement impressionnée par sa personnalité, le respect qu’elle attirait que, pendant un certain temps, notre problème parut secondaire. Si je n’avais écouté que mes désirs, je serais restée sur l’île pour tout apprendre de cette femme. Les jours suivants, elle négocia opiniâtrement avec les douaniers, la police, les juges. Nous apprîmes qu’il existait une loi qui pouvait être légitimement invoquée pour nous envoyer en prison pour un bout de temps…Les colonialistes nous autorisaient à quitter l’île à condition que les Portoricains abandonnent leurs livres ».
Angela Davis in Angela Davis Autobiographie
C'est par la pièce d'Alain Foix, Pas de prison pour le vent, que j'ai appris la rencontre entre Angela Davis et Gerty Archimède. Je connaissais bien sûr Angela Davis mais point Gerty Archimède.
Dans les années 1970, Angela Davis après un séjour à Cuba prend un bateau qui s'arrête à Basse-Terre. Malheureusement pour elle, un douanier français lui confisque son passeport et ses livres. Elle va ainsi rencontrer Gerty Archimède, la première avocate et députée en Guadeloupe.
La scène se déroule dans la villa familiale. Au début, Gerty (Marie-Noëlle Eusèbe) et sa soeur, une religieuse (Mariann Matheus) sont seules. Il n'est question que du vent qui bouleverse Gerty. Et là, il faut dévoiler l'écriture d'Alain Foix :
GERTY. – Si ce n’est le vent. Si ce n’est ce vent qui agace et soulève les jupons. Si ce n’est ce souffle qui affole et chavire tout une île. Si ce n’est celui qui sans cesse s’insinue et soupire aux fenêtres et qui frappe aux volets, quelle chose, quelle engeance me vaut cette fatigue? Je ne connais que le vent qui me vaille cet état, qui me laisse languide et sans force, qui m’abat. La misère me soulève. L’injustice me révolte. La bassesse des ennemis politiques et parfois des amis ne mérite que mépris. Mais le vent. Mais le vent vide mes veines. Si pervers qu’il fait battre en retraite et m’enferme dans le noir. Si subtil, si présent, si sournois, si lassant.
SŒUR SUZANNE. – Gerty, Gerty ! Tu es lasse, épuisée, tu dois te reposer. Des années que tu bats la campagne sans répit. Je te vois aujourd’hui à Cuba, hier à Moscou, avant-hier au Congo, à Paris, à Bruxelles ou encore à Stockholm, quand ce n’est aux bas-fonds de Basse-Terre, démêlant des malheurs, au sommet du volcan ou au siège du journal, à celui du Parti. Gerty députée par-ci, ténor du barreau par-là, quand ce n’est présidente du Conseil, ou édile d’une commune, ou chef du Parti, et tout ça à la fois dans une même journée. Gerty, tu vas te tuer. Ta jeunesse est passée. Il y a la relève.
GERTY. – La relève, la relève. Toi aussi, ma sœur ? Toi aussi ? Mais c’est une conspiration. La relève, où est-elle ? Me relever aujourd’hui ? Qui prendra la tête du combat des femmes maltraitées, humiliées, délaissées, exploitées ? Un de ces jeunes coqs qui ne songent qu’à trousser les jupons ? Qui prendra ma place pour parler aux grands de ce monde? Qui est mûr aujourd’hui pour conduire les travaux d’avenir, ce combat de Titans ? Où est-elle la relève ? On la forme, oui, on la forme, on l’élève la relève, et qu’elle attende son heure. En attendant, Gerty est debout et elle est au travail.
SŒUR SUZANNE. – Aïe ! J’ai irrité la soufrière, elle est prête à exploser.
GERTY. – Pardon ma sœur, pardon. C’est ce vent qui me tourne, me bouscule, me bouleverse, me fait perdre patience, me sort de ma réserve. Pardonne-moi.
SŒUR SUZANNE. – Le vent, toujours le vent, n’est-ce pas ? Depuis le grand cyclone, c’est le vent qui t’emporte, rien que le vent.
GERTY. – Nous n’avions pas vingt ans.
SŒUR SUZANNE. – Le cyclone est passé et a tout renversé.
GERTY. – La misère était là, sous nos yeux. Mais qui donc la voyait ? Elle était si pudique. Et nous autres, des nuages dans les yeux, nous effeuillions les marguerites.
SŒUR SUZANNE. – Nous effeuillions la vie.
GERTY. – Est-elle plus belle lorsqu’elle est nue ?
SŒUR SUZANNE. – Une marguerite blanche, c’est un cœur de soleil habillé de nuages.
GERTY. – Il nous reste les nuages.
SOEUR SUZANNE. – Le soleil est derrière. Et derrière ces nuages l’incendie. [...]"
Nous assistons ensuite à l'entrée d'Angela Davis (Sonia Floire) et à la réunion de ces trois femmes différentes. Leur regard sur le monde parfois s'oppose, parfois se rejoint pendant qu'au dehors le vent ne cesse de souffler. Mais il n'existe pas de prison pour le vent.
La mise en scène est d'Antoine Bourseiller. Je vous conseille vivement de voir cette pièce qui m'a particulièrement émue et se joue en ce moment au Lucernaire.
De très belles photos du spectacle sur ce blog
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