samedi 27 octobre 2007

Voix


© photographie d'Elinor Carucci


"Les quais de métro sont pleins de voyageurs piaffants. Prêts à repousser toute personne en travers de leur route, ils se ruent dès l’ouverture des portes automatiques sur les quelques sièges libres. Le temps est leur seul maître. Ils font tout vite pour grapouiller des minutes volatiles comme s’ils gagnaient ainsi un bonus à ajouter en fin de vie. Elle se tient droite entre deux épaules dures qui n’ont aucune intention de se décaler pour lui faire de la place. Elle sent un parfum entêtant, une respiration sur sa nuque, la transpiration de corps muets, raidis, fourrés dans une rame étroite trop proches les uns des autres pour s’inspirer autre chose qu’une répulsion contenue. Elle gigote un peu pour faire circuler le sang dans ses jambes. On lui jette un regard agacé puisqu’elle ne sait pas se tenir tranquille et perturbe le bon déroulement du trajet." (p.27-28)

"Vérification du niveau de pilosité de ses mollets : correct en lumière tamisé, pas terrible au toucher. L'épilation, c'est tout un chantier. Exclus d'emblée la crème ou les appareils électriques censés extraire la racine du poil ; ils ne donnent pas de résultat satisfaisant, elle a testé il y a longtemps. Elle n'a pas le temps pour une séance chez l'esthéticienne. Cela ne lui a jamais en outre trop réussi, à cause de l'impression persistante d'être chez le médecin : la feuille de papier froissée sous le corps qui s'allonge, la lumière crue qui révèle les imperfections cutanées." (p.62)

Elle est juste une voix, sans nom, sans apparence réelle (est-elle blonde, brune, rousse ?). Elle se débat au milieu de journées mornes et ennuyeuses, seule. Amoureuse d'un homme marié, elle attend avec patience que leur relation d'amitié change.
En lisant ce livre, une autre écriture s'est interposée, une auteure éditée également par Actes Sud, Véronique Olmi. Je me suis retrouvée avec cette même sensation de malaise vis à vis du personnage, une fêlure était apparente, certaine.


Le livre commence par une citation de Samuel Beckett extrait de Molloy :
"Comme vous voyez, c'est une voix assez ambiguë et qui n'est pas toujours facile à suivre, dans ses raisonnements et décrets. Mais je la suis néanmoins, plus ou moins, je la suis en ce sens que je la comprends, et en ce sens que je lui obéis. Et les voix sont rares je crois dont on puisse en dire autant. Et j'ai l'impression que je la suivrai dorénavant, quoi qu'elle m'enjoigne. Et lorsqu'elle se taira , me laissant dans le doute et l'obscurité, j'attendrai qu'elle revienne...".

Ecoutez donc la voix de Céline Curiol.

Céline Curiol, Voix sans issue, Actes Sud,2005

Une critique de Paul Auster

2 commentaires:

rotko a dit…

ELINOR CARUCCI photographe américaine expose pour la première fois en France , à Lyon jusqu'au 31 déc à la Galerie "Le Bleu du Ciel"


2 photos sur
http://grain-de-sel.cultureforum.net/photographies-f11/elinor-carucci-t6624.htm#140468

Amaryllis a dit…

Oui rotko, j'avais vu