lundi 29 décembre 2008

Les mots



Nathalie Sarraute, Enfance, Folio

Nathalie Sarraute l'a déclaré très souvent : il est impossible après Joyce, Proust et Virginia Woolf de continuer d'écrire des romans traditionnels avec des personnages.*
Il paraissait donc indéniable que son autobiographie ne pouvait pas être banale et elle l'annonce d'emblée dans les premières pages.
Le récit est construit sous forme de dialogue entre l'auteur(e) et son alter ego. N. Sarraute tricote ses souvenirs puis les détricote sous l'influence de l'Autre qui lui demande des précisions. Ses sensations ressuscitées étaient-elles réellement ainsi, à ce moment de l'enfance ? N'est-ce pas l'adulte qui revisite ses souvenirs ? On s'arrête sur les mots, qui sont chargés de sens et continuent de faire mal, de blesser. Lorsque sa mère la laisse à la charge de son père, elle entend "Quel malheur de ne pas avoir de mère". Et c'est ainsi que l'on se trouve enfermé dans les mots des autres qui sont effrayants, la petite phrase qui l'air de rien, vexe ou fait peur. Il faut s'efforcer de trouver l'image la plus juste, le souvenir qui tente d'émerger avec tous ses points de suspension, les non-dits, les blancs. Ce livre est dans la continuité des autres livres de Sarraute, tenter d'écrire sur des perceptions ténues, des mots qui gênent, et essayer de les travailler au plus près de la vérité.



* Dans les conversations avec Simone Benmussa, elle explique dans le langage dans l'art du roman ce qu'elle entend par là. Après la Libération, c'est le roman engagé qui dominait la vie littéraire (pour des raisons compréhensibles). Mais certains auteurs ont décidé de se préoccuper plus de techniques, de formes et en 1956 a surgi ce que l'on a appelé "le Nouveau Roman". Je cite N. Sarraute : " C'était une réaction contre le roman traditionnel en général [...]. Il reprenait le mouvement si brillamment commencé dans le premier quart de ce siècle par Joyce, Proust, Kafka, qui ont fait accomplir un grand pas en avant à la littérature. Les tenants de ce que l'on a appelé le Nouveau Roman affirmaient [...] que le roman est un art comme les autres et que, comme les autres, pour vivre et se développer il doit constamment se transformer, découvrir un nouvel ordre de sensations et de nouvelles formes, abandonner les conventions devenues inutiles, gênantes, et créer de nouvelles conventions qui seraient abandonnées à leur tour ".

Huguette Bouchardeau, Nathalie Sarraute, Flammarion

Huguette Bouchardeau s'est heurtée à une gageure : écrire la biographie d'un écrivain très discret pour laquelle toute autobiographie est fausse. On pourrait donc reprendre la première phrase du livre "Enfance" et l'appliquer à H.B : "Alors tu vas vraiment faire cela ?" Écrire sur la vie de Nathalie Sarraute ?
Là il me semble que les premières pages de H.B consacrées à la biographie sont primordiales. Nathalie Sarraute refusait dans son œuvre l'existence d'une réalité individuelle. Pour elle, les éléments d'une vie sont hors de la vie, dans les mots, les malentendus c'est-à-dire dans ce que ressent et comprend celui qui entend les mots, plus que dans leur intention et leur sens initial.

J'aime beaucoup l'image de Bouchardeau qui voit Nathalie Sarraute se retirer comme un bernard-l’ermite dans sa coquille, rien qu'à l'idée d'une biographie sur elle. HB accepte le jeu telle que le conçoit Nathalie Sarraute : l'œuvre plutôt que la biographie réelle tout en sachant que certains événements intimes retentissent sur la création.
Le premier chapitre retrace l'enfance de l'écrivain et là Huguette Bouchardeau s'inspire bien sûr du seul roman autobiographique de Nathalie Sarraute en insistant sur l'importance de la mère de l'écrivain, elle même romancière qui éditait sous un patronyme masculin, des contes pour enfants, des romans fleuves mais aussi des romans de cape et d'épée (ce qui n'est pas le genre de sa fille Nathalie, vous en conviendrez !). Sa mère s'est désintéressée d'elle à un moment donné et la petite fille a été confié à son père.

Son cursus universitaire est assez étonnant pour l'époque, elle va étudier dans différentes universités européennes, pour devenir finalement étudiante en droit, choix dû au hasard. Elle avoue elle- même que les études juridiques l'ennuyaient énormément. Elle va y rencontrer celui qui deviendra son mari Raymond Sarraute, homme avec qui elle avait une grande connivence intellectuelle et qui l'a toujours encouragé à écrire.

L'autre rencontre importante est celle de Sartre qui va permettre l'édition d'un de ses livres en lui faisant une préface. Il s'agit de Portrait d'un inconnu. Bouchardeau, part souvent des œuvres, et les interprète. Or Nathalie Sarraute dans l'un des entretiens avec Claude Régy que j'ai pu voir, insistait sur le fait qu'il ne fallait surtout pas de commentaires sur son œuvre. Comment procéder alors ?

Nathalie Sarraute par exemple n'a jamais insisté sur tous les problèmes qu'elle a du subir parce que juive en 1940. C'est pourtant là un point que HB souligne. Bouchardeau à l'intérieur de cette biographie donne toutes ses sources, les entretiens consentis par NS, les entretiens avec les deux metteurs en scène de ses pièces, Jacques Lassalle et Claude Régy et surtout celui qui a permis les œuvres complètes dans la Pléiade, Jean-Yves Tadié.
Au total Huguette Bouchardeau présente une biographie qui permet de mieux comprendre et apprécier l'œuvre de l'écrivain.

Nathalie Sarraute sur le forum Grain de sel

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Très bonne idée de parler de ces deux livres, l'un éclairant l'autre, et sur la personnalité de Sarraute, et sur une révolution dans l'écriture qui montre qu'on existe par le truchement d'autrui.

quelques avis sur N. Sarraute,
http://grain-de-sel.cultureforum.net/auteurs-francais-et-d-expression-francaise-f3/nathalie-sarraute-t586.htm?highlight=sarraute