lundi 2 juin 2008

Henry Bauchau

Il vient de se voir attribuer le Prix du Livre Inter 2008 pour Le Boulevard périphérique.

Je recopie l'une de mes anciennes lectures d'un de ses livres :

Henry Bauchau, L'enfant bleu, Ed Actes Sud, 2004


"le poids des murs ferme toutes les portes" (P. ELuard, "Poésie ininterrompue").

Orion n'est pas une constellation mais un adolescent "chambardifié" par les rayons du démon de Paris. Henry Bauchau explique le choix de ce prénom après la visite d'une exposition sur Poussin où il a remarqué le tableau représentant Orion aveugle avec un enfant qui le guide.
Véronique, sa "psycho-prof un peu docteur", s'occupe de lui dans un hôpital de jour. Elle va vite comprendre que cet enfant en marge de la vie scolaire a un territoire qu'il peut exploiter, son imagination. Sa thérapie va s'appuyer sur cet élément. Henry Bauchau décrit dans ce roman une cure qui va durer plusieurs années. Véronique alterne durant les séances, le langage par l'intermédiaire de ce qu'Orion appelle "des dictées d'angoisse", le silence (elle n'insiste pas lorsque Orion lui répond "on ne sait pas") mais surtout les dessins. C'est dans cette dernière matière qu'excelle Orion.

Certaines descriptions de dessin m'ont menée ailleurs. Je me suis retrouvée en pensée devant une exposition d'un artiste non pas malade psychiquement mais physiquement. Un artiste que je ne connaissais pas alors et qui s'appelait Stani Nitkowski. L'exposition montrait des peintures rageuses, sauvages, en couleurs au départ puis en noir et blanc. L'émotion ressentie était insupportable, violente. J'avais la sensation que ces peintures me refusaient ou que c'est moi qui les niait. Je suis sortie rageuse, presque en colère. Je me suis souvenue brutalement d'une phrase d'une amie : "là, où cela fait mal, creuse". J'ai alors compris que cet artiste faisait exploser dans ses tableaux, son extrême souffrance, sa révolte contre la mort. Sur la toile, cet artiste mettait en scène les hallucinations de son esprit.
Or, c'est ce que fait Orion lorsqu'il réplique à Véronique qu'il ne peut représenter que ce qu'il "voit dans sa tête".

Sans trop s'attarder, H. Bauchau nous signale le danger physique du travail de Véronique car Orion peut se montrer extrêmement violent.

"Sans l'espérance, vous ne rencontrerez jamais l'inespéré" (Héraclite).
Cette espérance, malgré des moments de découragement, Véronique l'a envers Orion. Orion n'arrive pas à se considérer comme un "je". il parle toujours en employant le mot "on" mais les questions qu'il pose à Véronique permettent à celle-ci également d'avancer, de travailler avec du vide et du plein, de se confronter comme Orion "au choc de l'univers encombré".

« Une œuvre quand elle est presque finie, on sent une chaleur, un début de rayon pour qu'on ne finisse pas. Moi, on est une espèce de presque, de pas fini. Etre comme les autres, est-ce que c'est être fini ? on voudrait et le presque ne veut pas. On souffre pour finir les œuvres, on aimerait mieux faire des œuvres brûlées. Toi, Madame, tu es une presque ou une finie ? » demande Orion.
« Une presque, Orion, je le crains mais aussi je l'espère » répond Véronique.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

A l'aube de ce 3 juin, chronique de Paul Hermant sur les antennes de la RTBF, émission Matin première :
-"Nous avons des histoires éparses. Parfois, nous rencontrons des gens. Un week-end, les gens s'en vont et votre histoire vous paraît d'un coup plus courte. Nous avons avec la mort des conflits réguliers. On nous prend celle-ci, on nous arrache celui-ci. Votre agenda commence à ressembler au livre des morts.

Il y a un âge où vous biffez. Ce numéro de téléphone aux abonnés absents. Cette adresse mail, finalement, qui ne délivre plus rien. La mort des autres vous rend terriblement égoïste, cette vie qui s'en va, on dirait que c'est à vous qu'on l'a volée.

Il est parfaitement inconvenant de parler de la mort d'un ami à la radio. Je sais. On cache la mort, on doit cacher aussi les émotions de la mort. Mais pour nous autres qui sommes chroniqueurs et qui avons tous les jours affaire aux affaires du temps, de quoi parlons-nous donc sinon de cela et comment œuvrons-nous pour rendre l'universel intime… alors permettons que l'intime soit rendu au monde : si rien de ce qui est humain ne nous est étranger, la mort d'un homme est notre voisine.

Alors, on prend la place du mort et l'on pense à ce que disait Hillel l'Ancien, rabbin babylonien et sage parmi les sages : « Si je ne suis pas pour moi, qui le sera ? Si je suis seulement pour moi, que suis-je ? Et si pas maintenant, quand ? ». Il faut de temps en temps être la bouche des morts. Et se demander par exemple comment quelqu'un que vous ne connaissez pas, vous qui m'écoutez, a pourtant influencé votre vie et comment on lui doit quelque chose, parce que nous sommes comme ça, nous nous sommes endettés mutuellement à notre naissance.

Mon ami, par exemple, a passé cinq ans de sa vie à arpenter les guerres de Yougoslavie, il était là porteur d'une idée splendide, que ce qui se détruisait par le haut pouvait se reconstruire par le bas. Il créa dans des villes en guerre, de petits havres, où des communes d'Europe prenaient la place des Etats pour que ce qui était divers, multiple et pluriel gagne contre les épurations et les homogénéités. On appelait cela des ambassades de la démocratie locale et ce n'était évidemment pas des ambassades,

C'était un travail discret, mais si vous regardez les fils qu'il a tissés à l'époque, vous verrez bien qu'aujourd'hui c'est devenu un bien beau vêtement. Beaucoup le portent encore aujourd'hui. Et s'il ne donne pas chaud, au moins on n'a pas froid. De sorte que l'on comprend que la vie des hommes est faite ainsi d'histoires éparses et de rencontres fortuites qui, au total, rendent fiers d'avoir connu des gens.

Et puis, on apprend que l'écrivain belge Henry Bauchau a reçu hier le prix du livre Inter, chez nos confrères de France Inter, pour son dernier ouvrage, « Le Boulevard périphérique ». Henry Bauchau a 95 ans. On sourit à cette idée magnifique d'avoir 95 ans. Allez, belle journée et puis aussi bonne chance."

Amaryllis a dit…

C'est une chronique émouvante, Mazures, qui a tout a fait sa place ici.