dimanche 13 avril 2008

Femme, je suis

" Me voici à nouveau devant la mer
à fracasser des portes entières contre le roc
à mêler dans le même roulement d'amertume
le sable et la perle
dans les mêmes vagues brûlantes et métalliques
le jasmin de mon enfance et le hibou de l'enfer.
Me voici à nouveau devant la mer, courbée
sous un butin annuel de rancunes
de fatigues
de coqs égorgés pour rien
pour la prospérité d'un turban
qui depuis longtemps n'est
qu'un amas de poussière
ricanant sous la dalle
pendant qu'à l'ombre d'un figuier
femmes et bougies flambent
pour conjurer l'œil
la malchance
et le corbeau du désespoir

Pour une amulette moi aussi
j'ai triqué ma dent en or
le henné de mes paumes
et dégrafé mes paupières,
j'ai moi aussi regardé la lune
dans les yeux
en buvant des bols
du verbe liquide, silencieux et noir ?
J'ai suivi moi aussi du regard
les bateaux et les cigognes
qui partaient
mais nous avons toutes attendu
en vain
et en larmes
le père, le bien-aimé
le fils et le frère.

Mais la ville ouvre la gueule
de ses prisons
les avale avec son thé
et s'évente.
Mais la ville tire ses couteaux
nous taille un corps sans membres
un visage sans voix
mais la ville…
J'ai mal jusqu'à mon ombre projetée
sur l'autre trottoir
où mes derniers vers s'éparpillent
en petits morceaux de sels opaques
comme des larmes de glace.
Ma tête me retombe sur la poitrine
comme un obus
vu de près, mon cœur est un lac ".

Rachida Madani, Femme je suis, Inéditions Barbares,1981

4 commentaires:

Anonyme a dit…

De très belles phrases!! :-)

Chris

http://jeuxdecritsintimes.blogspot.com/

Amaryllis a dit…

Oui Chris.
Je regrette de ne pas savoir écrire ainsi.

Anonyme a dit…

Femme, elle fut.
Germain Tillion. 19 avril.

Amaryllis a dit…

Oui, Mazures, j'ai lu la nouvelle de son décès.