dimanche 10 février 2008

À saute-moutons



Je lis en jouant à saute-moutons. J'ai terminé Lire la photographie de Ferrante Ferranti.
Ma vision subjective et éclatée me fait retenir en premier lieu la superbe photo de Shirin Neshat intitulée Speechless de 1996. Sur cette photo, le cadrage ne montre que la moitié du visage de la femme. Ferranti donne sa vision de ce portrait : "Que lit-on en premier : l'œil, la pièce de métal, les caractères sur la peau ? [...] La boucle d'oreille, que les gardiens de la religion interdisent de montrer, peut se déchiffrer comme une arme braquée sur le spectateur, évoquer les menottes qui auraient entravé les mains contraintes d'écrire en silence sur les murs de la prison intérieure les graffiti de l'âme. L'œil est à l'échelle de l'arme. Le lecteur doit insuffler sa propre respiration à l'étouffante trame tissée des mots à l'image du voile sombre qui cache la chevelure" (p.51). Voilà tout est dit sur la manière de lire cette photographie.
Shirin Neshat est photographe mais aussi vidéaste. En 2001, à l'espace Electra, j'avais vu l'une de ses installations lors de l'exposition "Regards persans. Iran, une révolution photographique". Dans une petite pièce, deux écrans face à face. Sur l'un, un homme chante devant une assemblée d'autres hommes . Sur l'autre , une femme voilée chante également mais devant une salle vide. La voix de la femme est celle de la chanteuse exilée Sussan Deyhim ( je vous invite à écouter son disque "Madman of God"). On ressent une impression de malaise du à la séparation entre homme et femme qui pourtant se font face par écrans interposés.

C'est ensuite la photo de Marc Garanger qui m'a arrêtée, Femme algérienne 1960. Marc Garanger avait reçu l'ordre de photographier les autochtones en vue de leur établir des cartes d'identités pour mieux contrôler les déplacements. Ces femmes "obligées de se dévoiler" devaient s'asseoir devant le mur d'une mechta. Garanger dans l'introduction de son livre écrit qu'il reçoit "leur regard à bout portant".
Ferranti évoque également la photo de Hocine Zaourar devenue célèbre sous le nom de la Madone , celle qui représente une femme voilée, pleurant la mort de ses proches massacrés. Comme l'écrit si justement Ferranti, "la référence à l'esthétique judéo-chrétienne dans une civilisation qui n'a pas le culte de l'image religieuse occulte la dramatique réalité". On peut aussi se reporter au passage de Nathalie Quintane sur cette photo dans son livre l'année de l'Algérie.

Dans ce livre, j'ai retenu aussi la phrase du photographe Josef Sudek : "Je crois que la photographie aime les objets ordinaires et moi j'aime la vie de ces objets. Je suppose que vous connaissez le conte d'Andersen où les jouets des enfants qui s'endorment s'animent tout à coup. Je voudrais raconter la vie des objets, représenter du mystérieux, faire voir la septième face du dé".
Pour finir, la dernière photo qui m'a marquée est celle de Guillaume Genette, la projection sur les mains de son épouse Colette d'un négatif pris par son père quand elle avait un an.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Dans une expo, j'ai vu ces photos de l'armée contraignant, violence condamnable, ces femmes algériennes à ôter leur voile pour faire des photos d'identité. Manque de respect évident du colonisateur, préoccupé de tâches de police.

Décidément le voile est entouré de violence !

Actuellement on "oblige" les femmes (physiquement ou moralement) à le porter à nouveau, et la Turquie, jadis pionnière en laïcité, donne sa bénédiction aux islamistes en acceptant des étudiantes voilées à l'université.

Les universités catholiques acceptent en leur sein de former des imams, et entrebaillent leurs portes aux impératifs de la charia.

N'attendons pas avec les religions des progrès pour l'égalité des sexes et les droits de chacun.

La laïcité telle que définie par l'actuelle pétition me paraît un meilleur recours contre le prosélytisme religieux et ses objectifs de société.

http://grain-de-sel.cultureforum.net/sciences-humaines-et-documents-f7/

Amaryllis a dit…

@ grain de sel: je me souviens d'un livre "Bas les voiles"de Chahdortt Djavann, un témoignage d'une romancière iranienne vivant à Paris pour qui la question du voile ne relève pas seulement du débat sur la laïcité mais de celui des "droits de l'homme". Je l'ai ressenti comme un cri de protestation. L'auteure considère qu'il s'agit de discrimination ; ce n'est pas seulement un signe religieux mais un asservissement. Elle va très loin et refuse que les jeunes filles mineures (précision très importante) soient voilées car cela brime leur identité féminine.
Elle précise que les jeunes femmes adultes qui portent le voile, cela les regarde. Elle déclare même : "Elles sont adultes, elles peuvent même enfouir leur corps dans une couverture de laine par une chaleur de 35°. Si ça les fait jouir, c'est leur affaire. Mais dès qu'il s'agit d'enfants [...], qu'on prétend endoctriner et éduquer à l'aliénation en imposant à leur corps la marque sexuée de leur dépendance, je dis : Non ! Halte ! Atteinte aux droits de l'homme".

Anonyme a dit…

ouh la ! ça me semble bien offensif et si hasardeux que ca pourrait engendrer l'effet contraire. Rien de tel qu'une prétendue victime pour te faire passer pour un persécuteur.

Une stratégie defensive telle que l'actuelle interdiction dans les établissements publics me paraît plus judicieuse.

Quant aux rapports familiaux et sociétaux, a chacun de les gérer dans sa communauté sans intervention extérieure.

Voila ma prudente conduite : une fermeté contre les intrusions sans tomber dans le panneau de l'ingérence.

tu peux soumettre le pb à
http://grain-de-sel.cultureforum.net/sciences-humaines-et-documents-f7/laicite-t3339.htm

en renvoyant à ton blog.

Sally Big Woods a dit…

merci pour ton commentaire.

J'aime bien votre blog.